La nouvelle du transfert de Mesut Özil de l’Arsenal à Fenerbahçe a emmené un air frais bienveillant à la ligue dont la popularité déclinait sérieusement en raison de la pandémie de la COVID-19.
Dès les premiers jours de la médiatisation de sa décision de rejoindre le club istanbuliote, les médias ont donné pléthore d’informations détaillées sur la carrière du footballeur germano-turc.
La majorité a préféré s’intéresser à son jeu ainsi qu’à sa fortune en abondant de détails la manière dont il dépensait ses sous, soit en collectionnant des voitures de luxe soit en activités philanthropiques comme des aides humanitaires apportées à Gaza ou au Brésil.
Toutefois la partie controversée de sa carrière a été plus ou moins mise de côté. Son choix de jouer pour l’équipe nationale allemande en 2009 au lieu de l’équipe Turc avait bien suscité à l’époque la colère de ses supporteurs turcs.
Özil a énerve aussi ses supporters allemands
Une dizaine d’années plus tard, en 2008, sa rencontre à Londres avec le président turc Recep Tayyip Erdoğan a cette fois-ci provoqué la colère de ses supporters allemands. La photo qu’il a partagée en nommant Erdoğan « notre président » a suscité des réactions auprès des politiciens allemands. Sa performance déjà en déclin, Özil a quitté l’équipe nationale allemande quelque mois après ces controverses en disant « lorsqu’on gagne je suis allemand, lorsqu’on perd je deviens immigré ».
Un an plus tard cette fois, il a mis en colère ses supporters chinois lorsqu’il a tweeté pour dénoncer le traitement par la Chine des musulmans ouïghours, appelés « Turcs ouïghours » en Turquie. Ce faisant, il a non seulement irrité ses supporters chinois, mais a attiré la colère de l’institution officielle du pays.
Selon un article du New York Times publié en octobre dernier intitulé « L’effacement de Mesut Özil », ses clubs, ainsi que la Première League, choisissaient de ne pas soutenir le milieu de terrain en raison de la colère des Chinois.
Silence assourdissant de la Turquie sur la Chine
L’article soulignait cependant l’incohérence et le double standard de la Première League et de ses clubs rappelant leur soutien au mouvement Black Lives Matter, quelques mois seulement après les tweets d’Özil sur la Chine.
Un double standard similaire est également valable pour la Turquie, où la critique féroce des démocraties occidentales ne se manifeste nulle part lorsqu’il s’agit de la Chine. Le 18 janvier, un jour après l’arrivée d’Özil à Istanbul, le ministre turc des Affaires étrangères Mevlüt Çavuşoğlu, qui accueillait son homologue allemand Heiko Maas à Ankara, s’est senti libre de s’en prendre à lui devant la presse, en disant : « J’espère que vous ne vous opposeriez pas à la rencontre d’Özil avec le président ». On pourrait se demander si Çavuşoğlu aurait fait des commentaires critiques similaires sur la fureur chinoise contre les idées d’Özil sur les Turcs ouïghours si son invité était son homologue chinois.
Il est loin le temps où Erdoğan, qui en tant que Premier ministre en 2009, définissait l’oppression chinoise des Turcs ouïghours comme un « génocide ». Les relations étroites nouées avec la Chine pour compenser la détérioration des relations de la Turquie avec l’Occident, en général, ont conduit l’administration du Parti de la justice et du développement au pouvoir dans un silence total sur la question. De plus, ce silence assourdissant est partagé par son allié politique, le Parti du mouvement nationaliste (MHP) qui, en raison de sa position idéologique, était jusqu’à récemment le plus bruyant sur le sort des Turcs ouïghours.
Les Turc ouighours deviennent un sujet de tendance
Quant au public turc, l’arrivée d’Özil n’a pas suffi à relancer un débat sur la répression chinoise des Turcs ouïghours. Il a fallu le commentaire d’un autre footballeur, qui d’ailleurs était déconnecté de la Chine, pour que le public s’éveille sur le point de vue d’Özil sur les Turcs ouïghours.
« Je lui souhaite beaucoup de succès mais je voudrais plutôt commenter sur les joueurs qui avaient porté avec moi le maillot de l’équipe nationale », a déclaré Burak Yılmaz, un footballeur turc jouant en France pour Lille.
Ses commentaires ont déclenché une réaction féroce et les Turcs ouighours sont devenus un sujet tendance sur Twitter le 23 janvier. Yılmaz avait joué deux ans en Chine et les supporters se sont rapidement souvenus des excuses qu’il avait faites au public chinois après ses commentaires controversés sur leurs traditions culinaires. En avril dernier dans le cadre de la pandémie COVID-19.
Ce n’est qu’à ce moment-là que le public a vivement rappelé et applaudi la position d’Özil sur les Turcs ouïghours.
Fait intéressant, plus tôt dans la semaine qui s’est terminée par la controverse entre les deux joueurs, le secrétaire d’État de Trump, Mike Pompeo, a déclaré que « la Chine a commis un génocide dans sa répression des Ouïghours ». Son successeur Antony Blinken, qui l’a remplacé le lendemain, a déclaré qu’il était d’accord avec cette caractérisation. Pourtant, pas un mot de la Turquie.
* L’original anglaisa été publié sur YetkinReport, https://yetkinreport.com/en/2021/01/25/turkish-public-remembers-uighur-turks-thanks-to-ozil/
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Barçın Yinanç est journaliste indépendant (free-lance). Elle est spécialisée en politique étrangère turque. De 1991 à 2005, elle a travaillé comme journaliste diplomatique pour le journal Milliyet, les chaînes TV8 et CNN Türk Ankara, respectivement. Elle a assisté à de nombreuses réunions internationales sur le terrain et a réalisé des entretiens avec des dirigeants étrangers. En 2005, elle a quitté la capitale pour Istanbul et a rejoint la chaine CNN Türk et puis est passée à Hürriyet Daily News, le journal publie en anglais. En plus de mener des interviews, au cours des dix dernières années, elle a également été chroniqueuse pour la politique étrangère et les relations internationales a Hürriyet Daily News. Elleest diplômée du département des relations internationales de l’Université technique du Moyen-Orient. (ODTÜ) Elle a fait le collège au Lycée français d’Ankara. Après un stage a Londres a City University, elle a aussi fait un stage au Journal Ouest-France.
Pour citer cet article: Barçın Yinanç, “Oubliés des Turcs; Özil et la cause des Ouighours”, Panorama, En Ligne, 27 Janvier 2021, https://www.uikpanorama.com/blog/2021/01/27/oublies-des-turcs-ozil-et-la-cause-des-ouighours/
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